Réseau artcontemporainParis / Île-de-France

Du 13 - 11 au 04 - 12 - 2025

BULLSHIT JOB - LABO DEMO#5

Moquette bleue, néons froids, mobilier standardisé. Une odeur de café fade flotte dans l’air conditionné. Sur les écrans, des fenêtres s’ouvrent en cascade. Les corps se meuvent à peine, enchaînés à des boucles d’e-mails. Les gestes se répètent, les envies se répriment. On ne sait plus très bien depuis combien de temps on est là. Bienvenue dans l’open space.

Son esthétique hante tout un pan de la création contemporaine. De The Office à Severance, de Playtime à Brazil, des catwalks aux vidéoclips, le bureau devient décor d’une performance collective orchestrée par une mécanique invisible. Il est aussi un terrain d’analyse qui obsède la pensée critique : David Graeber interroge la prolifération des emplois vides de sens ; Byung-Chul Han décrit une époque rongée par le burn-out, où l’individu devient son propre bourreau ; Silvia Federici relie l’invisibilisation du soin aux mécanismes d’exploitation; Federico Campagna lit le Travail comme une religion séculière avec ses fidèles salarié·es; Jonathan Crary montre comment le capitalisme tend à supprimer toute temporalité improductive, du sommeil à la rêverie. Tou·te·s décrivent un monde où l’organisation du travail s’infiltre dans les affects, les comportements et les structures de croyance.

Il est d’autant plus évident que les plasticien·nes s’emparent de ces questions que le monde de l’art n’échappe pas à ce contexte. Après les études, la “vie active” y prend souvent la forme d’un enchaînement de jobs précaires, de candidatures chronophages, de projets non rémunérés et de missions floues. Les artistes apprennent à naviguer dans un écosystème compétitif où la créativité cohabite avec l’instabilité. Entre injonction à la visibilité, impératif de rentabilité et intériorisation de modèles d’auto-entreprenariat, iels deviennent à la fois travailleur·euse·s et gestionnaires de leur propre survie. La pandémie de Covid-19 a également opéré un glissement brutal : du studio à l’écran, du collectif au cloud, leurs pratiques ont absorbé les outils et les rythmes du secteur tertiaire. Désormais, à l’ère de l’IA générative et de l’automatisation de tâches créatives, de nouvelles questions émergent : qui crée encore de la valeur ? Qui est essentiel, et qui coche des cases ? Qui, au fond, occupe un bullshit job ?

L’exposition éponyme rejoue, dans sa scénographie même, le simulacre d’un espace de travail corporate. Mais ce coworking fictif est troué de failles, saturé de bugs, hanté par des fantômes. Il devient le théâtre d’une multitude de tentatives de résistance visant à désenvoûter les logiques capitalistes et bureaucratiques. Certaines œuvres font ressurgir les émotions refoulées et les voix étouffées de métiers disparus et d’usines désertées. D’autres inventent des fictions d’entreprise ou se greffent à l’administration pour la faire dérailler. Dans ce paysage instable, peuplé d’insectes mangeurs d’œuvres, et de bots nostalgiques, les team buildings virent au conte dystopique. Les slogans tournent au récit d’effondrement. Par endroits, des rêves d’évasion percent la surface aseptisée du réel, comme autant de lumières au bout du tunnel.

La posture des artistes oscille entre le parasite et le prodigue. Par l’ironie, le glitch, le soin ou la dissonance, iels sabotent les rouages de l’ordre dominant, ébranlant de l’intérieur la promesse du progrès et les mirages néolibéraux. Leurs gestes tracent des lignes de fuite dans un système saturé, esquissant d’autres manières de travailler et d’être ensemble. Dans le sillage de l’intuition de Pignarre et Stengers , elles murmurent qu’« un autre monde est possible ».

Manon Klein & Andy Rankin

Avec : Sophia Abderrazak (La Cambre 2022) – Ayla Aktan (ESA Avignon 2025) – Renaud Artaban & Alexandre Barbé (INSEAMM & La Cambre 2024) – Ugo Ballara (ENSAPC 2023) – Joséphine Berthou (ENSBA 2024) – Clémentine Blaison Vandenhende (Villa Arson 2023) – Elie Bolard (Villa Arson 2023) – Clara Bougon (La Cambre 2024) – Editions Burn Aout (ENSBA 2024) – Evangeline Font (Villa Arson 2023) – Reem Hasanin (Villa Arson 2025) – Ruoxi Jin (ENSBA 2024) – JINGDI (ENSP 2023) – Lune Jusseau & Tom Rambaud (La Cambre 2024) – Elouan Le Bars (ENSAPC 2024) – Fañch Le Bos (La Cambre 2025) – Rémi Lecussan (ESA Aix 2022) – Raphaël Maman (ENSBA 2022) – Raphaël Massart & Matthias Odin (ENSBA 2024 & ENSAPC 2023) – Sara Noun (ENSBA 2025) – Clarisse Pillard (ENSBA 2025) – Manon Torné-Sistero (INSEAMM 2025) – Marcos Uriondo (INSEAMM 2025) – Maxime Vignaud (ENSAPC 2024) – Winju (ArBA-EsA 2024) – W.I.P. Collective (ARTS² 2022) – Daniel Zduniuk (ArBA-EsA) – Kylian Zeggane (INSEAMM 2023)
Commissariat : Andy Rankin & Manon Klein

Agenda
Début de l’installation : 13 novembre 2025
Fin de l’installation : 4 décembre 2025
Visite presse Jeudi 13 novembre 2025 : 10h > 13h : visute guidée avec l’artiste Ruoxi Jin – performance
Vernissage Jeudi 13 novembre 2025 : 18h00 > 21h00 : activation en continu de l’installation de Manon Torné-Sistero par Ionatan Schindler & Morgane Bonis
+ performance de Kylian Zeggane & Martin Mesnier + Geneviève Mathieu & John Deneuve en Guests