Du 14 au 28 - 10 - 2025
INCANTATIONS en Aliénocène : Lacrydoll
Lacrydoll : une rivière de larmes.
Aujourd’hui, les larmes racontent ce que nous peinons à dire autrement. Dans un monde saturé d’images et de bruits, elles troublent la vision et deviennent des signes, des flux intimes et collectifs, capables de relier nos expériences personnelles aux enjeux du vivant.
Cette exposition a pour objet d’établir une relation émotionnelle avec l’eau des rivières.
Les rivières nous intéressent car elles représentent des entités souvent transfrontalières et circulantes, auxquelles celleux qui les fréquentent s’identifient.
On pense notamment aux nombreux cours d’eau entre la Belgique et la France : l’Eau Noire (voir la bataille de l’Eau Noire) Oise, Houille, ruisseau de Massembre…
Cette image est fondatrice pour les commissaires d’exposition, car elle fait la synthèse entre trois sensibilités : celle de « message personnel » (cur. Delphine de la Roche 2023 Paris) et celle de « Aquaturf » (d’Antoine Carbonne, 2021, Bruxelles), tout en s’intégrant dans la programmation du Centre Wallonie Bruxelles / Paris.
A l’origine des rivières : des sources.
Les cultures païennes y ont toujours attribué une dimension mystique.
Émanant de la source païenne des lacrydolls, les rivières canalisent les tristesses du monde et leur font rejoindre leurs forces, leurs défenses.
Le temple lacrymal de Youri Johnson en est la manifestation, il évoque une source, autour de laquelle gravitent des œuvres comme le masque de fer de Walter Wathieu, réalisée dans un moment de tristesse. Autour de cette pièce originelle – une diversité de larmes hétéroclites, qui se répondent en un concert de plaintes.
Les lacrydolls – manifestations poétiques des sources des entités – sont à la fois des pleureuses et des cariatides. Elles portent et alimentent les cours d’eaux de leurs larmes. Elles sont aussi leurs entités protectrices – avec la complicité des castors – dans une cosmogonie-poème original de Delphine de la Roche :
« L’eau qui coule,
l’eau qui cherche, l’eau qui trouve,
l’eau qui se fraie un chemin.
Les Locky glissaient, formaient des rigoles, s’enfonçaient dans les mousses, creusaient des chemins minuscules.
Ils s’alliaient avec les Castors, architectes des rives, et ensemble ils construisaient digues, tunnels et refuges, permettant aux larmes véritables de circuler malgré les barrages.
Chaque jonction faisait grandir le flot. Les rivières secrètes se rejoignaient, tissant une armée d’eau vivante prête à résister à la prédation.
Un matin, la rivière bondit de son lit.
Elle rugit, brisa les toiles, emporta les mégabassines.
Le vert menteur et le rose collant se dissolvaient dans sa course.
Les vallées respirèrent.
Les rivières rirent.
Les cœurs se réhumidifièrent.
Même les Crocodiles, tremblèrent d’une larme qu’ils ne comprenaient pas.
Le cycle reprit.
Les disparus revinrent.
L’Œil Cosmique, au centre du ciel, pleura encore.
Mais cette fois, ses larmes étaient claires, véritables, joyeuses,
portées par la force des alliances et de la vie retrouvée. »
Inspirées de cette cosmogonie, les artistes qui le désiraient ont été encouragé.e.s à participer à la création d’un tarEAU : comme un jeu divinatoire, certains artistes façonnent une carte du tarEAU, inspirée par Lacrydoll, Cry me a river ! un petit conte éco-féministe qui transforme la fragilité en force.
Antoine Carbonne
L’exposition Lacrydoll part d’une intuition commune : les larmes débordent nos langages habituels. Elles deviennent des flux capables de relier l’intime et le collectif, nos fragilités et les cycles de la Terre.
Les œuvres composent un récit mouvant : une rivière d’images et de symboles, où chaque goutte devient signe et présage. La rivière se personnifie, transporte nos fragilités et irrigue nos imaginaires.
De Walter Wathieu, qui condense la tristesse en volumes métalliques, à Matthias Garcia, dont la figure en pleurs rejoint la procession des Lacrydolls, chaque artiste apporte un fragment de ce flux commun. Antoinette d’Ansembourg crée des univers miniatures comme des larmes-mondes, tandis qu’Eva L’Host transpose la mémoire engloutie de Staburags, falaise légendaire née des larmes d’une jeune fille.
Ainsi, l’exposition invente une rivière plurielle où mythes, récits et matières se rejoignent. Les larmes y apparaissent comme une force de mémoire et de transformation, un langage partagé pour questionner nos manières d’habiter la Terre et nos émotions.
Delphine de la Roche
Artiste : Aïsha Christison • Antoine Carbonne • Antoinette d’Ansembourg • Apolonia Sokol • Delphine de la Roche • Eva L’Hoest • Flavien Berger • Laurent Proux • Matthias Garcia • Sean Crossley • Sophie Varin • Walter Wathieu • Youri Johnson