Réseau artcontemporainParis / Île-de-France

L’Art s’est barré sans laisser d’adresse
Clarence Guéna

Dans un monde où les agences de voyages n’ont plus le monopole du rêver d’ailleurs, où les centres commerciaux surbondés n’ont plus la côte, la publicité et avec elle son imagerie alléchante sombre dans l’indifférence du regard. Un souvenir vague du monde d’avant. L’on consomme désormais seul, ou en groupe très restreint, son repas, ses gadgets sophistiqués achetés directement sur internet, des livres qu’on n’a pas pu feuilleter avant.

Le secteur culturel est pris à la gorge. Les musées et lieux culturels, puisqu’il en est directement question ici, restent indéfiniment fermés. Impossible donc de déambuler dans une exposition. De se retrouver en présence directe avec une œuvre, d’appréhender la mise en espace d’un travail. L’Art s’est barré sans laisser d’adresse.

En tant qu’artiste et régisseur, ma proximité avec l’Art est double. Il y a cette envie irrépressible de percer le mystère de ce que je vois, mettre en branle mes certitudes ou tout simplement prendre position face à l’œuvre. Il y a aussi leur manipulation et cette jouissance transgressive du toucher, interdite aux visiteurs. Il y a cette connaissance complète de certaines œuvres, comme le poids d’une peinture sur acier de Gerold Miller, le « fini fétiche » diabolique d’une caisse de transport de Julien Nédélec, ou encore le nombre de kilomètres parcourus par le pinceau pour réaliser une peinture de Mathieu Mercier.

Quant à mon travail, tout en creux, il ne cesse d’inviter le regard à s’y plonger, la main à s’y balader.

À l’heure où les grandes enseignes culturelles se mettent à la visite virtuelle des expositions, où Beaubourg s‘associe à Google, il me paraît important de marteler qu’une œuvre, que le travail d’un artiste, ne se voit et ne se vit qu’en vrai.

Le reste peut s’envisager du point de vue de l’archive ; garder la possibilité de visiter une exposition au-delà des frontières, dans l’hypothèse où celles-ci resteraient fermées, ou bien à une époque passée, ou simplement parce qu’on a raté les affiches annonçant les derniers jours d’ouverture. Le reste n’est qu’une vague image spectaculaire – la photographie restant un procédé magique capable d’égaler la réalité pour beaucoup.

Il n’y a rien à attendre des cartes postales.

Clarence Guéna

Site : www.clarenceguena.com

@clarenceguena