27 - 02 - 2021
De l'utilité de l'art
Usager·ère·s du CAC Brétigny, décembre 2020
Publié sur cacbretigny.com le 18 décembre 2020
Quand j’étais enfant, je me rappelle avoir entraîné mes parents au musée, alors que nous étions en vacances au bord d’un lac, pour voir une exposition de fossiles. Les musées étaient une porte ouverte vers une infinité de savoirs.
Quand j’étais enfant, j’étais soucieuse car la vie n’était pas toujours facile. Je trouvais, dans les dessins animés de Topor ou de Moebius, une échappée et des émois intenses me permettant de mettre des images sur les émotions complexes qui, comme tous les enfants, m’habitaient.
Quand j’étais adolescente, je me posais des questions sur mon corps, mon identité, notre place dans la société, à nous les humains, j’ai trouvé des perspectives dans les films, les bandes-dessinées, les pièces de danse ou de théâtre, les expositions que j’ai eu la chance de découvrir. Je suis allée à Cadaquès, dans la maison-musée de Dalí. J’ai visité l’exposition de Fred, l’auteur de Philémon. Je l’ai interviewé pour le journal du lycée. Je m’en souviendrai toujours.
Quand j’ai grandi, j’ai commencé à travailler dans l’art contemporain, j’ai voulu emmener mon grand-père voir une exposition, j’ai découvert qu’il pensait que «ça n’était pas pour lui». Il m’a attendu devant la porte. J’ai toujours eu à cœur que tout le monde se sente légitime à franchir la porte de l’espace d’exposition où je travaillais.
Quand j’étais au lycée, l’année dernière, j’ai créé un podcast radio avec une artiste, j’ai pu raconter ma vision du futur, mes peurs, mes colères mais aussi mes envies.
Quand j’étais au collège, on m’a emmenée voir une pièce de théâtre. Les acteur·ice·s, leurs costumes, les décors et les lumières m’ont complètement absorbée. Ce soir-là, j’ai compris que grâce à l’art, je ne pourrai jamais vraiment m’ennuyer dans la vie. Plus tard au lycée, une professeure m’a donné le goût de visiter des expositions et de lire des romans. Je me souviens avoir été rassurée et m’être sentie moins seule en découvrant que certaines émotions qui me traversaient, d’autres personnes à d’autres époques et dans différents endroits de la terre les avaient exprimées. Plus récemment, il y a eu des œuvres qui ont bousculé mes idées et qui m’ont ouverte à des questions que je ne m’étais jamais posées. Maintenant ces questions font partie de moi.
J’ai grandi dans une petite ville d’une grande agglomération dans laquelle il y avait un cinéma d’art et d’essai. C’était l’une des seules offres culturelles de la ville et les habitant·e·s s’y retrouvaient le week-end pour regarder des films en tous genres. Après les séances, les jeunes et les personnes âgées discutaient devant le bâtiment abritant la salle. Aujourd’hui, je me rends compte de l’importance de ce lieu culturel de proximité qui a été pour moi un lieu de découverte artistique et de lien social.
Quand j’étais enfant, j’avais un surplus d’énergie et d’émotions dont je ne savais pas quoi faire. La pratique hebdomadaire d’activités artistiques était un vrai exutoire. Aux cours de poterie, je laissais mon imagination débordante infuser la vie aux figures d’argiles que je créais. J’apprenais à gérer mes émotions en incarnant celles de personnages pendant mes cours de théâtre et les compétences que j’ai acquises sur les planches m’ont été utiles toute ma vie.
Quand j’étais ado, j’ai traversé une période difficile où l’avenir me semblait bouché et trop compliqué. Les seuls moments où j’avais l’impression de pouvoir respirer et d’être moi-même étaient pendant mes sessions d’art thérapie. Créer était une nécessité. Par ailleurs, je me plongeais régulièrement dans la vie de personnages fictifs que je retrouvais dans des films ou des livres, ce qui me permettait de m’évader. Ces figures inspirantes me permettaient de me sentir moins seule.
Quand je suis devenue adulte, l’envie d’aider les autres à ressentir des émotions fortes et à s’évader des maux du quotidien m’a poussée à travailler dans le domaine culturel. Cette envie vient aussi de la nécessité de partager les idées et les créations de chacun·e pour mieux vivre ensemble. Je suis convaincue que l’émulation créative et intellectuelle que provoque les arts nous amène à être meilleur·e·s. L’art contemporain en particulier nous encourage à questionner les règles établies et à imaginer un futur plus inclusif où chacun·e a sa place.
Quand j’étais enfant, j’étais très curieuse. Mon grand-père me retrouvait souvent entre les piles de livres de sa bibliothèque, coincée entre deux étagères. J’ouvrais avec mystère ces livres aux belles images qui me permettaient de connaître le monde. Avec lui, j’ai compris que l’art était un savoir.
Quand j’étais adolescente, lors d’un voyage en Espagne près de la ville de Saragosse, avec ma classe nous avons visité la maison natale de Francisco de Goya à Fuendetodos. J’y ai découvert toutes ses gravures sur l’homme et sur l’Humanité, dont notamment deux qui « démasquent le mensonge ». Là-bas, j’ai compris que l’art était une vérité. Arrivant à Paris, j’ai emménagé avec une artiste encore en école d’art. Elle m’a embarquée dans son monde tournoyant, incertain, sentimental et coloré, et j’ai tout de suite aimé. Elle m’a présentée à tou·te·s ses ami·e·s qui m’ont accueillie à bras ouverts. Leur art était de l’expression, une manière de communiquer avec les autres, d’extérioriser leurs passions. Avec elles et eux, j’ai compris que l’art était un besoin. Plus je grandis, plus je comprends que l’art est un langage qui permet de tisser des liens, de partager une vision, d’apprendre et surtout d’apprendre sur soi.
Quand j’étais enfant, mon livre préféré était Mon petit Orsay, associant des images d’œuvres exposées dans le musée à de courts poèmes. Ma préférée était La Pie de Monet, un tableau représentant une pie sur un portail branlant au milieu d’un paysage enneigé. Quand j’étais enfant, j’étais bavarde, une vraie pie. Je détestais l’hiver aussi, qui m’emplissait de mélancolie. Quand j’étais enfant, je me suis identifiée à la pie, elle transmettait tout ce que je ressentais et n’arrivais pas à exprimer.
Le 9 janvier 2015, alors que je me promenais, je n’ai pas compris le soudain défilé de véhicules de police, sur les quais de Seine, roulant à toute allure vers l’Est de Paris. Le tournoiement des gyrophares et le vacarme des sirènes m’ont angoissée, désemparée. Je me suis réfugiée au Musée d’Orsay. En sortant, je suis tombée sur une réédition de Mon petit Orsay à la boutique, je l’avais complètement oublié. Presque simultanément, j’apprends que, deux heures plus tôt, la police se dirigeait vers l’Hyper Cacher, où une prise d’otage était en cours. J’ai fondu en larmes. Plus que jamais, l’art m’est apparu comme un remède à la brutalité. Quand les mots ne suffisent plus, quand le désarroi s’installe, l’art nous invite à l’optimisme. Il nous aide à penser le monde, ses contradictions, ses noirceurs, et nous encourage à œuvrer pour des futurs plus justes, plus beaux. Aujourd’hui, en décembre 2020, j’écoute à la radio le verdict du procès des attentats de janvier 2015 en regardant la reproduction de La Pie accrochée chez moi. Aujourd’hui, j’aurais aimé être au musée, au cinéma ou au théâtre. Aujourd’hui, nous avons plus que besoin de l’art pour commencer une nouvelle année sous de meilleurs auspices.
Je n’ai pas de souvenir précis du moment où j’ai commencé à m’intéresser à l’art. J’ai le sentiment d’avoir été attirée depuis toujours par les activités créatives. Mon premier rapport à l’art était pratique. Et cela l’a été jusque tard, mes 11 ans, mon entrée en sixième et mes premiers cours d’art plastique au collège. Mme Biro nous montrait au début de chaque cours des œuvres: je me souviens particulièrement de celles de Matisse et de Niki de Saint-Phalle sur le rétroprojecteur. C’est dans cette salle de classe que j’ai découvert le plaisir si particulier que j’avais à regarder les œuvres et surtout à essayer de les comprendre.
À 14 ans, je demande pour mon anniversaire à aller voir l’exposition Le grand monde d’Andy Warhol au Grand Palais à Paris. Depuis ce jour, je garde toujours ancrée en moi cette envie, souvent solitaire, d’aller « voir des choses ». La visite d’expositions est un moment qui n’appartient qu’à moi. J’aime me laisser porter par les images, les couleurs et les formes. À 14 ans, sans aucun a priori, sans aucun savoir à la base, je trouve dans la visite d’expositions mon indépendance, une certaine liberté de penser et d’imaginer. C’est toujours le cas aujourd’hui, où les œuvres continuent de m’accompagner et de m’aider à comprendre le monde.
Je m’appelle Céline, Milène, Elena, Camille, Loïc, Ariane, Anne-Charlotte, Abel, Louise, Domitille, et toute ma vie l’art m’a accompagné·e pour comprendre le monde dans lequel j’évolue, pour mettre en forme mes sentiments, pour réussir à vivre… tout simplement.