Réseau artcontemporainParis / Île-de-France

L’Art est essentiel à la santé mentale
Elisabeth Lemercier

Elisabeth Lemercier est architecte au sein de l’agence BONA-LEMERCIER, elle enseigne à l’ENSA Versailles.

Le texte présenté ici est issu d’un échange entre Elisabeth Lemercier et Valérie Knochel Abecassis, directrice de La Maréchalerie – centre d’art contemporain, à partir de plusieurs questions posées.

CRÉATION ET CONTEXTE DE CRISE

« Nous savons que l’isolement a des vertus créatrices, Il y a aussi une sorte d’énergie contenue qui demande à s’émanciper, une sorte d’urgence à produire quelque-chose d’essentiel. J’en ai profité pour amorcer officiellement ce que l’on appelle une recherche et qui est à ce stade une projection hors contexte. Cela me donne beaucoup de force pour aborder les nouveaux sujets bien réels qui arrivent, avec plus de conscience peut-être.

Mais les prolongations de l’isolement sont en train d’en révéler les limites. Car pour être réellement fructueux, il doit être accompagné d’une certaine quiétude. Les sirènes n’ont toujours pas cessé de sonner. »

L’EXPÉRIENCE DE L’ART

« L’Art est tout. J’ai des conversations ininterrompues avec la musique, les arts visuels, la poésie, l’« Art des mots » (Stéphane Mallarmé) mais je suis beaucoup dans l’action et j’ai recours à d’autres pratiques qui sont aussi d’un grand secours dans la fabrication des projets, comme la Couture, la Pâtisserie, pour les techniques qu’elles mettent en œuvre dans la mise en volume et la transformation de la matière.

Ce sont les textes des artistes, des auteurs de toutes les disciplines qui me nourrissent plus encore que leurs œuvres. Les entretiens, les essais nous dévoilent les rouages de leur travail. Là aussi, cette compréhension m’apprend beaucoup sur ce que je suis en train de fabriquer.

Pour la femme que je suis, cela ne devrait faire aucune différence car toute création est par-delà les genres, « All my art deals with problems that occur before gender » Louise Bourgeois. S’il y a une différence, elle ne peut être que circonstancielle et il est vrai que l’arrivée des femmes architectes étant assez nouvelle, elles ont sans doute en tête de dire des choses qui n’ont pas encore été dites. Une sorte d’énergie trop longtemps contenue là aussi. »

ARCHITECTURE ET ENSEIGNEMENT

« J’interviens principalement à l’école d’architecture de Versailles où l’enseignement artistique tient une large place et passe par des artistes, c’est très important. C’est sur la question du sens que cet enseignement est capital mais aussi sur la prise d’autonomie des étudiants. Dans les écoles d’art, elle est acquise mais en architecture, où nous sommes soumis à un sujet extérieur, il est très important que nous apprenions comment nous en emparer avec nos propres aspirations, obsessions. Il faut pour cela les connaître, se connaître. L’Art nous permet d’exister. »

L’ART, UNE NÉCESSITÉ

« Je me réfère à nouveau à Louise Bourgeois pour qui l’Art est essentiel à la santé mentale : « Art is the guarantee of sanity », citation de l’artiste, Precious liquid, 1992. C’est le cas pour ceux qui le produisent comme pour ceux qui le reçoivent, précisément car il permet de se connaitre soi-même. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire et surtout pas souhaitable de le simplifier pour toucher un large public. Les plus grandes œuvres sont accessibles à tous, même les plus pointues. En tous cas c’est de celles là dont nous avons besoin. »

ARTISTE VERSUS ARCHITECTE

« L’artiste se révèle aux autres et les révèle à eux même à travers la représentation qu’il donne du monde. Cela a à voir avec sa propre construction, son enfance, sa perception des couleurs, de la lumière, des sons qu’il a perçus, qu’il retranscrit. L’Art engagé est circonstanciel et me semble être une échappatoire à ses valeurs essentielles.

Tandis que l’Art, sous toutes ses formes, représente le monde, l’Architecture le construit. C’est une différence fondamentale. Nous avons cependant entre les mains les mêmes outils. C’est pourquoi il existe toutes formes de porosité et de migrations d’une discipline à l’autre. Chacun peut choisir sa voie, les frontières n’existent pas réellement et c’est ce qui m’intéresse. »

L’ART UN ÉCOSYSTÈME À PART ?

« On ne devrait sortir que pour survivre : travailler, acheter des denrées, faire du sport. C’est sans doute, ce qui nous rapproche le plus des temps de guerre. Je ne crois cependant pas que cette pandémie justifie une telle aliénation, une telle pénurie culturelle. C’est une forme de simplification dévastatrice dont nous mesurons mal les conséquences désastreuses qu’elles ont et vont avoir. La seule vertu de ces restrictions serait de nous assoiffer d’Art pour que nous buvions ensuite avec encore plus de délectation. »

L’ART APRÉS 

« Depuis le premier confinement, les artistes inventent de nouveaux modes de fabrication et de diffusion de leurs travaux. On voit partout l’émergence d’œuvres d’un nouveau type qui démontrent la nécessité absolue qu’ils ont de produire. Il n’y a a priori pas « cessation d’activité » (référence à la série de tableaux de Christophe Cuzin réalisés pendant le confinement avec l’inscription « cessation d’activité » dans toutes les langues).

Il est difficile de dire si ces œuvres de circonstance vont devenir des modèles ou si au contraire les artistes vont prendre le contrepied et ne plus vouloir jamais poster une œuvre sur Instagram. »

Elisabeth Lemercier, mars 2021.