La mort des amants
Jil Dechambre Carletti
Alors que la réouverture des lieux culturels reste toujours incertaine, l’exposition Miguel Rio Branco, photographies 1968-1992, touche à sa fin, sans public. Pour autant, elle aura suscité une rencontre inédite entre Charles Baudelaire et l’artiste brésilien, sous le regard et la plume de Jil Dechambre Carletti lors d’un atelier d’écriture mené avec sa classe de première du Lycée Jules Ferry (Paris) et son enseignante de Lettres Catherine Viennot-Franca.
« Deux êtres.
Deux êtres, deux âmes, contrent une adversité inéluctable,
Deux corps qui semblent inséparables.
Noir et Blanc.
Mort et Amour.
Allongés sur le sol, deux amant(e)s. Cette rue est sale, mouillée, pleine de déchets. La chaleur du soleil, même réduite par ce noir et blanc transparait sur cette photographie. Debout, un homme se reflète dans cette étreinte mutuelle.
« Usant à l’envi leurs chaleurs dernières » disait Baudelaire dans son poème La mort des amants. Dernière étreinte ? Dernier baiser ? Miguel Rio Branco a choisi de capturer un instant t. Baudelaire a choisi de nous faire imaginer un avenir à travers l’écriture.
Rapporter un amour, qui devra résister à une mort certaine et inévitable. Nous faire voyager à travers mots ou appareil photo. Cette union des corps est commune chez ces deux artistes. Transmettre une symbiose n’est pas chose aisée, pourtant, nul doute ne subsiste concernant la puissance de L’Amour sur cette photographie ou dans ce poème. Amour certes, mais désenchantement d’une fin plus ou moins proche.
« Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux », Baudelaire exprime un destin ou la tristesse prend une grande place. Quant à Miguel Rio Branco, ce dernier nous fait profondément ressentir la désolation grâce au noir et blanc, ainsi qu’à la présence de cette ombre qui vient noircir ce tableau de tendresse. Homme inquisiteur ? Image de mort ? Représentation d’un destin funeste ?
Peu importe. Peu importe car ce qu’il est n’affecte point nos deux amants. La mort ou le destin ne sont que secondaires, l’essentiel est de se concentrer sur l’autre. L’autre comme moi-même. L’autre comme barrière contre le monde.
Ces deux représentations d’artistes différents nous prouvent et nous enseignent qu’irréfutablement, l’Amour sera plus fort que le destin. Fusion de deux corps suivis d’une extase certaine. Mais cette fusion sur la photo est-elle le signe d’un amour profond, si durable que même la mort ne pourra atteindre ?
Au contraire même, après la mort le poème donne à penser que dans une autre vie reviendra une fusion éternelle. Les deux amants du poème fusionnels pendant la vie – les fleurs fanées donnent une impression de durée – le seront encore après leur mort.
Vivants, ils sont un.
Morts, ils seront encore un.
Sur la photo, après la jouissance puissante mais expéditive, dans un cadre où les déchets remplacent les fleurs, où les coussins profonds sont absents, les deux amants résisteront ils à l’usure du temps ? »
Jil Dechambre Carletti, lycéenne, Lycée Jules Ferry (Paris)