La télévision vit, depuis une quinzaine d’années, un âge d’or. Les Soprano, The Wire, Six Feet Under ont fait naître une passion publique et critique que Mad Men et Breaking Bad ont prolongée, et après eux Masters of Sex, Louie, Fargo… Longtemps objet de dédain, les séries télévisées sont désormais reçues comme des œuvres à part entière.
La mutation ne s’est pas faite du jour au lendemain. Pour qu’elle ait lieu, il a d’abord fallu établir que les séries étaient capables de rivaliser avec les films et que les meilleurs showrunners n’étaient pas indignes d’être comparés aux auteurs du cinéma. Il a fallu vanter les séries en omettant de considérer qu’elles étaient produites par et pour la télévision.
À présent que le processus est accompli, peut-être est-il temps de procéder différemment. C’est-à-dire temps de revenir à l’évidence : les séries s’insèrent dans des grilles, elles sont voulues et diffusées par des chaînes, ce sont des œuvres mais ce sont aussi des programmes. Le découpage en saisons, le début ou la fin d’un épisode, l’intervalle séparant cet épisode-ci du suivant dépendant de contraintes strictement télévisuelles. Les coupures publicitaires, les teasers qui précèdent les génériques ou encore — cas extrême — les rires en boîte constituent autant de servitudes pesant nécessairement sur la conduite des récits. Même l’évolution des habitudes spectatrices est en partie commandée par des déterminations de ce genre.
Pourquoi n’essaierait-on pas alors de décrire l’art des séries, ses régularités mais aussi ses inventions les plus extravagantes, comme un ensemble de stratégies — narratives et esthétiques — élaborées à la fois avec et contre les formats télévisuels ? Reparcourir tout le chemin depuis le début, rendre la télévision à la télévision, moins pour la désenchanter qu’afin d’en réancrer les conquêtes dans leur sol véritable.
C’est ce que propose de faire ce séminaire, à un moment sans doute crucial où l’entrée d’acteurs venus d’Internet — Netflix, au premier chef — est en train de provoquer un nouveau bouleversement encore du lieu, et donc de la nature, des séries.
Emmanuel Burdeau est critique de cinéma. Membre de la rédaction de Mediapart, il anime le Café en Revue, site Internet du Café des Images, et dirige une collection d’essais aux Prairies Ordinaires. Il écrit sur l’actualité des films pour Le Magazine Littéraire et Art press. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont La Passion de Tony Soprano (Capricci), The Wire. Reconstitution Collective (dir., Capricci et Les Prairies Ordinaires) et Breaking Bad. Série Blanche (dir., Les Prairies Ordinaires).
Chaque séance du séminaire se clôt par la présentation / recommandation d’une série, nouvelle ou en cours.
Renseignements : infoauditorium@jeudepaume.org